Une Histoire Séculaire
Le Village de Saint Dimitri
Autrefois, en face des quartiers latins de Pera et Pancaldi (Pani Caldi - pain chaud), un village grec existait déjà à l'époque byzantine. Il portait le nom de Saint Dimitri. À l'époque ottomane, ce village prit le nom de Tatavla, signifiant "endroit où l'on dressait les chevaux". Enfin, en 1931, sous la République et après le grand incendie de 1929, le quartier devint celui que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Kurtuluş, signifiant "la délivrance" ou "la libération".
Les Changements Démographiques
Jusqu'aux années 1960, Kurtuluş était en grande partie peuplé de Grecs. Malheureusement, à cause des événements des 6-7 septembre 1955 à Istanbul, de nombreux habitants durent fuir le quartier. Après les troubles à Chypre entre les deux communautés en 1964 puis en 1974, beaucoup de Grecs quittèrent le pays pour la Grèce. À partir de 1955, de nouveaux arrivants de l'Anatolie s'installèrent dans le quartier, occupant des postes de main-d'œuvre bon marché dans les chantiers navals et les bâtiments en tant que concierges.
Un Quartier Modeste et Cosmopolite
Depuis le XVIIIe siècle, Tatavla a toujours été un quartier à la population modeste, qu'elle soit orthodoxe ou musulmane. Avec l'arrivée du tramway électrifié en 1913, cette population modeste pouvait se rendre au travail dans les quartiers de Pera ou de Nişantaşı chez les riches.
La Vie Culturelle et Sociale
Autour de l'Église Saint Dimitri
La partie la plus vivante du quartier se situait autour de l'Église Saint Dimitri, avec ses commerces, écoles, tavernes, et clubs de sport. Tous les ans, se déroulait le célèbre "Carnaval de Tatavla - l'Apokria". Les habitants se déguisaient et portaient des masques pour ne pas être reconnus et profitaient de cette fête populaire pour critiquer les autorités avec ironie en chantant, dansant, et buvant. Ce carnaval eut lieu chaque année jusqu'en 2005. En 2009, un petit groupe de personnes tenta de raviver cette tradition sous le nom de "Karnaval Baklahorani", notamment à la taverne de Madame Despina.
La Diversité Actuelle
Aujourd'hui, la population de Kurtuluş est très cosmopolite, reflet de la Turquie actuelle. On y trouve peu de Grecs orthodoxes (Rums), environ 20 000 Arméniens, quelques catholiques, de nombreux musulmans sunnites, des Kurdes, des Alévis, des Tziganes, des réfugiés africains, des travestis, et des transsexuels. Cette diversité se reflète aussi dans la cuisine riche et variée, héritée de l'Empire Ottoman, avec des "maisons des traiteurs" arméniennes et orthodoxes comme Tusba, Tuana, Tadal, sans oublier le fameux mezze arménien "Topik". Bien que beaucoup de tavernes aient disparu, la taverne de "Madame Despina" subsiste encore.
Patrimoine et Monuments
Le Cimetière Catholique de Feriköy
Le Cimetière Catholique de Feriköy occupe les anciens terrains de la riche famille française Ferry, qui possédait un petit palais. Après le grand incendie de Pera en 1831, l'Empire Ottoman transféra en 1852 le cimetière "Petits champs des morts" de Pera sur une partie des terrains de la famille Ferry. On y trouve des tombes de militaires français et italiens tués pendant les guerres de Crimée (1853-1856) et de Dardanelles (1914-1918), ainsi que des tombes de riches familles italiennes et françaises.
L'Église Aya Dimitri
D'après les archives, une église existait à cet emplacement depuis le XVIe siècle. L'église actuelle fut reconstruite en 1726, comme en témoigne une plaque en marbre à l'entrée. Elle possède cinq nefs, un clocher refait en 1950 et un jardin avec de nombreux tombeaux d'orthodoxes de la famille de Chios, ainsi qu'une fontaine Ayazma (Haralambos). Contrairement aux autres églises d'Istanbul, celle-ci est ouverte tous les jours. Son jour de fête est le 26 octobre.
L'Église Aya Tanas
Construite en 1855, c'est la première église avec une coupole construite après la conquête d'Istanbul en 1453 et financée par les orthodoxes. Elle possède la plus grande fontaine (Ayazma) d'Istanbul. Sa fête est le 18 janvier. On dit que dans son jardin se trouve le tombeau d'une fille née aveugle et guérie miraculeusement grâce à l'eau sacrée de cette église.
Autres Monuments
La Fontaine de Sefa (Mesohori) : construite en 1798 et financée par Mihrisah Valide Sultan.
Le Hamman de Sefa : construit en 1857.
Le Club de Sport de Kurtuluş : fondé en 1896, il possède le plus ancien salon de basket d'Istanbul, "Zaharofio", datant de 1923. Les athlètes de ce club remportèrent les premières médailles d'or des JO d'Athènes en 1906 avec les "frères Alibrantis".
L'École Evangelistrias (ou Yenişehir Rum İlkokulu) : fermée depuis 1980 par manque d'élèves.
L'Église Panagia Evangelistra à Dolapdere (1893) : dédiée à l'annonce de l'archange Gabriel à la Vierge Marie qu'elle donnerait naissance à Jésus Christ. L'architecte Petrakis Mimaridis commanda des pierres de l'île de Malte pour sa construction. L'église possède deux clochers fabriqués en Russie.
Conclusion
Kurtuluş, anciennement Tatavla, est un quartier riche en histoire et en diversité culturelle. De ses origines byzantines à son rôle moderne de carrefour cosmopolite, il incarne la mosaïque complexe d'Istanbul. Ce quartier offre un mélange unique de traditions, de cuisines, et de monuments, faisant de lui un lieu incontournable pour comprendre l'histoire et la culture de cette ville fascinante.
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